Vincent

 

Vincent,

Tu as été le 2ème coup de massue de ces 2 dernières semaines. Ces 2 semaines que j’aurai préféré ne pas avoir vécues. Le premier coup a eu l’effet d’un tsunami tellement le coup porté a été rude (et persiste encore). Puis, toi… toi que je ne connaissais que depuis 2ans… donc très peu finalement…toi qui me paraissais tellement fort si bien entouré de ta petite femme et de tes deux filles.

Nos deux familles se sont connues car tes filles ont l’âge de nos garçons et ont partagé leur classe de MS et de CE2.

Nos deux familles se sont rapprochées car ton épouse et moi partagions les réunions de l’APE du bourg. Alors forcement nous ne pouvions que nous connaitre, parce que nous avions ensemble un certain nombre de points communs. D’autant que nos enfants s’entendaient comme larrons en foire…surtout les deux derniers.
Nous avons tant ri lors des sorties pour accompagner nos cadets à la piscine… nous partagions ce même humour potache que certains parents ne comprenaient pas…mais qui nous faisaient mourir… mais de rire.
Nous pouvions nous croiser parfois dans le bourg, toi sur ce nouveau vélo si vintage que tu avais déniché pièce par pièce et entièrement retapé. Je me rappelle de cette vieille selle de cuir que tu étais si heureux d’avoir dégoté je ne sais où.

No et moi étions heureux de te connaitre…de vous connaitre car vous étiez l’un des premiers couples avec lesquels nous nous étions si bien entendus depuis notre arrivée en Bretagne.

Lorsque nous nous sommes vus au bourg il y a deux semaines à peine… tu étrennais ton nouveau vélo revenant de la pharmacie, un sac de médicaments à la main pour soigner cette angine qui t’énervait plus qu’elle ne te faisait souffrir car elle t’empêchait de mettre ta planche à l’eau. Tu m’avais raconté pendant près d’un quart d’heure à quel point une petite vieille de l’autre centre bourg t’avait pris la tête et mis en rogne à la boulangerie car elle ne savait pas sur quoi arrêter son choix. Nous avons tellement ri de bon coeur en pensant à cette situation coquace.

Alors…

Alors…

lorsque j’ai appris, à la lecture d’un simple mail, que tu n’étais plu, j’ai eu beaucoup de mal à y croire. Avais-tu eu un accident de planche? Un camion t’avait-il fauché sur ton beau vélo? que s’était-il passé? j’ai imaginé le pire et étais encore plus triste d’imaginer la souffrance de tes trois femmes. Je lui ai de suite envoyé un SMS lui témoignant mon amitié compte tenu du contexte difficile et que surtout je me mettais à sa disposition pour garder les filles à la maison, si besoin. Je lui avouais aussi que je ne pouvais pas assister à la cérémonie funéraire. C’est sans doute très égoïste de ma part mais je ne pouvais pas, en moins de 2 semaines, assister à deux enterrements. Cependant, je me suis associée ce Jeudi 10 Juillet par la pensée à la douleur des tiens, sachant la cérémonie de ta crémation en cours. Il était 10h30.

Je n’arrivais pas à réaliser que tu ne serai plus…que tes filles ne te verraient plus et qu’elles te pleureraient encore longtemps.

Etait-ce important de savoir ce qui s’était passé? Non… Pourtant au fond de moi, je voulais savoir. j’avais besoin d’être rassurée. Pourquoi? je ne le sais pas mais j’avais besoin de maitriser quelque chose de ce nouveau décès si proche de moi. J’ai alors simplement pensé qu’en connaitre la cause me permettrait de commencer à réaliser que tu étais mort.
Aujourd’hui j’ai su… et j’aurai signé de suite pour ne rien savoir car, jamais… jamais… je n’aurai pensé que tu commettrais un tel geste. Un geste aussi irréparable que celui d’avoir mis fin à cette vie que tu semblais tant aimer. Ce geste qui a mis fin subitement, dramatiquement à 38 années…qui a mis fin à ta si belle famille… qui a mis un terme net à notre amitié qui promettait d’être belle. Ce geste qui laisse tant d’interrogations chez ceux qui restent.

Car, comment l’expliquer ?

Sommes-nous coupables de n’avoir rien vu? Ta joie de vivre nous semblait tellement réelle que l’incompréhension de ce geste n’en est que plus grande.

Loin de vouloir te juger, je peine à dire que je trouve ce geste impardonnable et abominable pour ceux qui restent. Car certain(e)s se battent et se sont battu(e)s jusqu’à la fin pour vivre tandis que que toi, avec ta force de caractère, tu as décidé d’en finir. Mais qui suis-je pour penser cela et initier ici même une once de morale? Ne faut-il pas être dans une détresse extrême pour en arriver à un tel acte? Je souhaite témoigner de ma grande incompréhension face à ce geste que j’arrive toujours pas à comprendre.

Pourtant, Vincent, je tiens à te remercier d’avoir été toi à chaque instant car je suis heureuse d’avoir croisé un bout de ta route.
Repose en paix, quelque part entre ciel et terre, à califourchon sur une planche à voile ou en danseuse sur un vélo, avec tes lunettes blanches toujours posées sur le nez et ton chèche blanc, enroulé à ton cou.