Canal+ est une des dernières chaines avec Arte que j’adore regarder car je m’instruis de leurs programmes. Il ne s’agit pas ici de faire l’intello mais, en effet, il reste encore sur cette chaine un réel journalisme d’investigation qui permet de sortir des sentiers battus et des sujets racoleurs maintes fois rabâchés par les autres chaines (marre d’entendre parler de la drogue dans les cités avec les descentes de police à 6h du matin…des chauffards sur la route…des cambriolages pendant l’été etc…)

Ce soir, comme à peu près TOUS les soirs, il n’y avait rien qui vaille sur les autres chaines (comme d’habitude !). Alors, on se retourne vers le replay de Canal car on sait qu’on y trouvera forcément quelque chose d’intéressant. Nous y avions vu passer la bande-annonce de « MADE in France », un document que nous avons pensé original et le sujet nous a interpellés, No et moi.

Le synopsis est le suivant : Pendant un an, un journaliste a décidé de suivre à la lettre les préceptes édictés par notre ministre du redressement productif Arnaud Montebourg et d’explorer la faisabilité du « Consommez MADE in France».

 » Made in France  » : le doc qu’il ne fallait pas rater sur Canal plus

Dès le départ, on apprend que cette thématique, très actuelle, fait partie du paysage politique depuis des années dans les discours tenus autant par les instances au pouvoir de gauche comme de droite : François Mitterand dans les années 80, Nicolas Sarkozy qui a fait valoir le « Produire en France » et François Hollande qui, via son porte-drapeau français « l’homme à la marinière ArmorLux (Arnaud Montebourg)», milite à son tour pour que le consommateur français devienne « consomm’acteur » en ne consommant que des produits dans l’Hexagone.
Mais plus facile à dire qu’à faire car on se rend très vite compte que « consommer français » n’est pas une tâche si aisée. Le journaliste commence par faire auditer son appartement parisien par un auditeur du « label Origine France » qui aura pour but au bout de 9 mois de cette expérience de certifier notre journaliste « made in France ». En détaillant son mode de vie, le journaliste apprend que seul 4.8% de son appartement est « made in France ». On en ressort plusieurs leçons de cette expérience :

PREMIERE LECON : Notre consommation est internationale.

  • Dans son placard : ses vêtements sont fabriqués en République populaire de Chine (RpC), ses teeshirts viennent du Bangladesh et sont distribués par une marque espagnole (Zara, pour ne pas la citer), ses caleçons viennent du Vietnam et ses Clarks sont fabriquées à Londres.
  • Dans sa cuisine : sa centrale vapeur bien que de marque SEB vient de la RpC, son frigo vient de Turquie, son lave-vaisselle de marque Whirlpool est à 50% fabriquée en France car l’usine d’assemblage est sur le territoire.
  • Dans son frigo : ses tomates viennent d’Espagne, ses haricots verts en bocal viennent du Kenya, le thon en boite vient du Portugal. Seules les fraises en barquette venaient de France.
  • Dans son salon : son canapé vient de la RpC, son fauteuil est français (cocorico !) mais tout le reste vient du monde entier.

A la fin de cet inventaire et en jouant le jeu du label, le journaliste doit se débarrasser de tout ce qui n’est pas « Made in France » et se retrouve très vite dépouillé de son intérieur.

Cela peut sembler démagogue mais si nous poussons la réflexion plus loin et regardons notre propre consommation : pourrions-nous vivre sans smartphones/Iphone = nord américano-chinois ? sans PC ou Mac = nord américano-chinois ? sans jean = chinois ou vietnamien ? sans télévision =coréenne ? sans chocolat = africain ou sud-américain ? (moi, oui car je n’aime pas vraiment le chocolat !) mais si nous devions consommer local ou Made in France, nos habitudes actuelles en seraient fortement modifiées.
DEUXIEME LECON : « consommer français » coûte cher.

L’industrie française se meurt et c’est peu de le dire vu toutes les fermetures d’usines opérées depuis ces dernières années. Et le savoir-faire français se meurt avec elle, entrainant la sinistralité de certaines régions françaises. Alors rien d’étonnant d’apprendre que le textile français, rendu à une peau de chagrin, doit faire face au gigantisme textile de l’Asie et que cela se répercute automatiquement sur le coût final de votre tee-shirt « made in France » qui va vous couter 35 euros à la caisse alors que le même fabriqué au Bangladesh ou au Vietnam sera 2 à 3 fois moins cher.

Pour de nombreux industriels, la question ne pose plus : délocaliser EST l’unique solution. De plus, les salaires d’un ouvrier sont plus élevés en France (moyenne de 1350 euros) là où les ouvriers sud-asiatiques doivent se contenter d’un salaire qui va de 13 euros au Bangladesh à 131 euros par mois en RpC. Sans oublier les conditions de travail de cette main d’œuvre sous-payée.

Notre journaliste assiste à un congrès du « Made in France » et interpelle notre ministre du redressement productif en lui expliquant son challenge et lui demande par quoi il devrait commencer pour consommer français. De but en blanc, M. Montebourg lui rétorque qu’il lui faudrait changer de vêtements et suivre son exemple car son costume est entièrement fabriqué en France (en montrant l’intérieur de sa veste). On arrive à lire l’étiquette : SMUGGLER. No connait cette marque qui est effectivement une marque 100% française mais tout le monde ne peut pas se permettre, M. le Ministre, d’acheter du Smuggler… à 790€ la veste uniquement. Cela se mérite de porter du vêtement français et tout le monde n’a pas le pouvoir d’achat de M. Montebourg.

Par ailleurs, on apprend que tout produit estampillé du drapeau français ne signifie pas forcément que ce produit a été fabriqué en France mais que seul un de ses composants vient de France. Le drapeau tricolore sur un emballage est vendeur et cela ne fait pas l’affaire du consommateur qui doit redoubler de vigilance pour lire les étiquettes s’il veut réellement aider la production française.

TROISIEME LECON : Une innovation francaise au service des plus grands et non du simple lambda

A ce même congrès, M. Montebourg fait l’éloge du « Made in France » face aux nombreux entrepreneurs venus présenter leurs produits. Pendant que l’un s’étend sur les aspects techniques de l’hydrolienne, un autre souhaite l’appui du ministre sur un nouvel appareil qui serait utile dans la chirurgie cardiaque. Là encore, tout cela est bien beau mais dans notre quotidien, il est impossible de consommer français. Moulinex arrive à sortir son épingle du jeu bien que proche de la faillite il y a encore quelque années mais la majorité de nos appareils, qu’ils soient de cuisson, de lavage, de nettoyage ou autre ne sont pas fabriqués en France. Alors que notre pauvre journaliste qui n’a plus de frigo (car fabriqué en Turquie) se retrouve à stocker son beurre sur le rebord de sa fenêtre. Pas efficace, lorsque la température extérieure est de 24 degrés. On apprend aussi que plus aucune usine en France ne fabrique d’appareils de froid, sauf Whirlpool qui fabrique uniquement des congélateurs dans son usine d’assemblage français. CQFD!

QUATRIEME LECON : La politique concernant l’industrie française n’est pas à la hauteur

Bref. Ce documentaire mérite d’être vu car il interpelle le consommateur dans sa vie de tous les jours. On se rend compte que, s’il est facile de demander aux Français de consommer local, rien n’est mis en pratique sur le plan politique pour aider les entreprises à produire français. Assommés par les charges sociales trop lourdes, les taxes en tous genres, les impôts en veux-tu en voilà, nos industriels prennent de plus en plus leurs jambes à leur cou et vont voir si l’herbe est plus verte ailleurs . Même Peugeot qui est une des plus grandes marques automobiles francaises assemble ses voitures « françaises » en Slovénie ou en Pologne. Désormais passé sous le giron chinois, la fabrication francaise des voitures PSA n’est vouée à être qu’un lointain souvenir !

Ce documentaire ne laisse pas insensible quand on voit ce que l’on pourrait faire si nos politiques prenaient le temps d’écouter la base : N.O.U.S ; mais il ne s’agit pas que de cela. Il faut arrêter aussi de vouloir faire toujours plus d’argent car cela ne rime à rien. En effet, si on reprend l’exemple du teeshirt français qui nous coûtera au final 35 euros à la caisse mais qui est fabriqué dans la campagne nord-pas-de-calaisienne, facialement cela reste très cher mais idéalement la préférence de ce choix national me parait plus judicieux si l’on commence à ajouter au teeshirt bangladais les différents coûts annexes qui jonchent le parcours de cette pièce (transport, émissions carbone, logistique et autres) jusqu’au distributeur en France.
Pourtant, si j’entends bien le discours et le partage sur toute la ligne, la réalité d’aujourd’hui et mon pouvoir d’achat sont tels que je continuerai à utiliser mon Mac pour partager tant de choses avec vous, à acheter mes teeshirts à 9 euros chez Zara ou à facebooker sur mon Iphone car le changement industriel, ce n’est pas pour maintenant! Je veux bien consommer francais mais je n’ai pas le portefeuille pour le faire. Mais ce changement est déjà opéré dans mon façon de manger car là, je suis à 70% locavore. Mes légumes, ma viande viennent de ma région : merci à toi, Bretagne. Nous faisons l’effort de consommer des produits de saison. Ce choix n’est pas encore évident pour toute la famille (mes fils tiennent à leur Kinder Bueno!) mais No vient de découvrir que sa tablette de chocolat venait du pays basque ! Du progrès.

Les efforts viennent de la base, à commencer par nous ! Petit à petit…